M. Comorassamy

Le regard perdu, le visage émacié, le corps déformé en appui sur son déambulateur, M. Comorassamy semble rongé par un éternel tourment. Je le voyais hanter les couloirs, tel une ombre, et je n'osais pas le photographier. Avait-il conscience de son image?

J'avais tenté de l'aborder mais le dialogue était impossible, sa voix est faible, son élocution difficile, je ne comprenais pas ce qu'il me disait.

C'est M. Fumey qui avait fait la liaison et m'avait permis de l'approcher en confiance. Je commence donc à prendre quelques clichés lorsqu'il met la main devant son visage. Pensant qu'il ne voulait pas être photographié je repose aussitôt mon appareil, mais l'aide-soignante, qui avait assisté à la scène et qui le connait bien avait dû percevoir une lueur dans ses yeux. Elle me dit: "non, vous pouvez y aller, il joue avec vous". Je reprends donc les prises de vues et effectivement, il jouait à cache-cache avec sa main. C'est alors que son œil, habituellement si hagard, s'illumine et pétille de malice. La métamorphose est saisissante, le visage à demi caché par ses doigts maladroits, il est radieux.

Je fais encore quelques images puis je lui montre le résultat. Visiblement ému, il marmonne quelques mots inaudibles, puis il me fixe droit dans les yeux et me sourit. Il reste ainsi quelques secondes, qui me paraissent une éternité. Le lendemain je repasse dans le service. Il me reconnaît, l'aide-soignante lui prête son téléphone et il recommence à jouer avec moi. Il s'était bien passé quelque chose dans ce dialogue muet de la veille.

Qu'avons-nous échangé? Je ne sais pas exactement, mais le souvenir de ce sourire qu'il m'a offert ce jour-là brille encore en moi et reste l'un des moments les plus forts de mon immersion à l'EHPAD.